42,200 km au pays du bonheur

Olivier Jeannier Découvertes

Drapeaux au vent3.2.1. partez ! Le signal de départ du 5e marathon du Bhoutan est donné…

Je suis au pays du bonheur où l’indice économique P.I.B. a été remplacé – en 1972 par le 4e roi – par le fameux B.N.B (Bonheur National Brut) et où 250 chanceux vont se disputer la victoire ou plutôt profiter d’instants privilégiés dans un pays si mystérieux.

Tout a commencé par une provocation d’un ami guide local rencontré lors d’un premier voyage au Bhoutan en 2008. « J’ai une bonne raison de te faire revenir dans mon pays : viens y courir le marathon ! ». Il ne sera pas nécessaire pour lui d’insister, la date est vite cochée dans mon agenda.

Une arrivée par voie terrestre.

Désireux de varier les plaisirs, j’entre cette fois-ci sur le territoire bhoutanais non pas par avion mais en voiture. C’est possible notamment par la frontière Indo-Bhoutanaise de Phuntsholing/Jaygaon. Moments de retrouvailles intenses avec Kinlay, mon guide de l’époque, devenu tenancier d’hôtel et patron d’une agence de voyage. Dans cette petite ville frontalière de plaine, le contraste est saisissant entre le trafic, la foule, le bruit de l’Inde et le calme du Bhoutan. Dès le poste frontière franchi, la route s’élève, les drapeaux de prières sont légion, on change de religion.

kinlay-768x513Kinlay et un ami hôtelier

Et puis, on est venu me chercher en tenue officielle, le Go, une sorte de jupe portée par les hommes avec des chaussettes genre mi-bas de footballeurs. Exotisme assuré !

go-683x1024L’habit traditionnel le go

Sur les routes de ce petit pays hors du commun jamais colonisé, lové dans l’Himalaya oriental, entre l’Inde et la Chine (Tibet), peu de voitures : 650 000 habitants pour un territoire un peu plus petit que la Suisse – j’assiste à des scènes de vie avant tout rurale (il existe peu d’industrie dans le pays). A ce propos, Kinlay me glisse que les Bhoutanais sont des avant-gardistes car tout produit alimentaire (comme le piment, le produit numéro un) est quasi bio et, en tout cas, l’objectif est de l’être dès 2020 ! Les forêts qui défilent sont majestueuses et très protégées.

rizieres-768x512 Rizières

groupe-nonnes-768x512Groupe de nonnes

La capitale est en vue. Bien que située à 2200 m d’altitude dans l’Himalaya, la neige n’y fait chaque année que quelques brèves apparitions et d’ailleurs, le chauffeur (le sympathique frère de Kinlay) me signale qu’à l’occasion de la première chute de l’année, le gouvernement décrète ce jour férié dans tout le pays, et ceci même dans les régions tropicales du pays non concernées par la neige !!!

Après l’installation à l’hôtel, je n’ai qu’une hâte, vérifier si la légende, qui raconte que Thimphu est une des seules capitales au monde sans feu de signalisation, est toujours vraie. Je suis rassuré, le pays a un peu changé depuis 8 ans mais toujours pas le moindre feu rouge, ni orange pas plus que vert ! Par contre, je vois nonnes et moines oreilles collées à leurs téléphones portables, et constate que depuis ma dernière visite, la population porte plus de jeans et moins de Go et de Kira (habit traditionnel féminin). C’est sûrement une des conséquences de l’apparition de la télévision et de l’internet… en 1999 seulement ! A ce propos, pendant longtemps la population n’avait qu’une chaine nationale à regarder, aujourd’hui les chaines satellites sont arrivées. Toutefois et j’apprécie, l’habit traditionnel prédomine encore, même en ville ! Les voitures, elles, sont plus nombreuses mais le gouvernement taxe au prix fort leur achat et roule pour l’électrique : toujours ce souci de l’écologie avant tout !

salutations

Rencontre avec mon fameux guide.

Il est une quasi-star dans les rues de Thimphu (et aussi le fils de Kinlay). Et j’ai de la chance, Tashi sera mon guide pour des découvertes pré-marathons. Ses connaissances et sa façon de raconter anecdotes et histoires sont captivantes. Ce n’est pas seulement pour ses talents de guide qu’il est reconnu mais également en tant que chanteur local tendance rock à la voix pure. Si à la dernière minute son visa pour les USA ne lui avait pas été refusé (pas facile pour les autochtones, hormis en Inde, de sortir du pays), il serait sans doute aujourd’hui à New York ou à Los Angeles à tourner avec un groupe ou à enregistrer un album.

tashi-768x512Tashi le fils de Kinlay

Bien sûr je ne suis pas venu jusqu’au Bhoutan seulement pour participer au marathon ! Récemment, le célèbre globe reporter Antoine de Maximy (Programme TV : J’irai dormir chez vous), qui a pour habitude de s’inviter chez l’habitant, se posait, avant son arrivée dans le pays, la même question que bon nombre de voyageurs : ai-je la liberté d’aller et venir au Bhoutan sans mon guide, puis-je choisir mes lieux de visites… ? Et bien oui mais en passant par une agence de voyage ! Durant ces découvertes d’avant course, j’ai donc pu par exemple :

– semer (en guise d’échauffement pour le marathon) mon guide dès le début de l’ascension qui mène au somptueux monastère bouddhiste du Nid du Tigre

– modifier un itinéraire prévu à la dernière minute suite à des chutes de neige en altitude

– décider d’aller à la découverte d’un lieu peu touristique dans un monastère de nonnes

S’il y a une chose que je n’ai pu faire, c’est battre les Bhoutanais au tir à l’arc, leur sport national. Maitrise et dextérité des archers m’ont impressionné. Les arcs en bambou sont dorénavant souvent remplacés par des arcs à poulies mais chant et pas de danse accompagnent toujours les parties. Toutefois, cette activité plutôt masculine n’a jamais permis au pays de remporter une seule médaille olympique.

La course

Je retrouve mon ami Kinlay qui m’accompagne à Punakha, lieu du marathon. C’est une ville au climat tropical et sa forteresse/château appelée Dzong est magnifique. Les bananiers y poussent, les rizières y sont légion et le climat bien plus chaud qu’à Paro ou Thimphu. Lui pense – en bon bouddhiste – que j’ai un bon karma (celui qui nous a mis aussi en contact et qui nous réunit) et que la course va bien se passer. Le trajet en tout cas se déroule à merveille. La distance entre Thimphu et Punakha est courte mais le temps de trajet est très long à cause des multiples travaux sur la route mais on ne s’ennuie jamais avec Kinlay.

dzong-paro-768x512Dzong Paro

Le jour tant attendu est arrivé. Je revois avec plaisir quelques autres participants rencontrés sur les sentiers menant au Nid du tigre. Environ 50 % d’étrangers sur la ligne de départ (souvent des baroudeurs qui ont une grande liste de marathons à leur actif et qui veulent accrocher le Bhoutan à leur trophée), l’autre moitié est en majorité constituée de militaires affutés du pays ou d’Inde.

nid-du-tigre-768x512Le Nid du Tigre

Le coup de fusil a été donné, j’ai décidé de profiter de chaque mètre, et de diviser les 42 km en 4 et d’être en communion avec différents éléments, différentes personnes pour ressentir au maximum le plaisir de la course mais aussi pour m’évader quand la course deviendra plus difficile vers la fin… car un marathon (surtout en plein hiver quand on a peu couru) c’est dur même au pays du bonheur. Les encouragements des autres coureurs mais surtout des enfants du village transcendent. Les paysages sublimes défilent, il faut gérer pour finir. Les jambes deviennent lourdes, la chaleur à l’inverse de l’altitude augmente. Je termine à l’agonie et je n’arrive même pas à revenir sur le militaire indien qui ne va pas plus vite qu’un marcheur rapide. Peu importe, comme promis mon ami Kinlay m’attend après le long pont suspendu où je venais d’admirer un vol majestueux d’oies migratrices. Ses applaudissements et ses mots judicieusement choisis me donnent un second souffle, la preuve que quand on croit qu’on est au bout, la volonté et le mental peuvent encore agir à la place des jambes. Je termine. Les souriantes masseuses prennent soins de mes muscles exténués et m’apportent un grand réconfort. Les moines du dzong sourient, voulant me dire par là peut-être qu’ils ne comprennent pas le pourquoi de mon effort, je pourrais leur proposer un sujet de méditation « Fais du bien à ton corps pour que ton âme ait envie d’y rester » tiré d’un proverbe indien et je suis persuadé qu’ils auraient des éléments de réponse intéressants. Kinlay est fier de son poulain qui termine à une place honorable. Je n’aurai toutefois pas la chance, lors de la cérémonie de remise des prix, folklorique d’être choisi par le prince (jeune frère du roi et président du comité olympique) pour une petite discussion à l’inverse de ma jeune voisine Bhoutanaise qui a eu le droit à une chaude accolade lui laissant un visage rose à souhait et un sourire béat. Je me contente d’une poignée de main du ministre des sports.

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12710713_921356207983234_8257018674267603355_o-768x512Olivier

Kinlay avait vu juste, j’avais un bon karma et la route retour est l’occasion pour nous, malgré la fatigue (pour lui de la conduite de nuit et pour moi de la course bien sûr), d’enchainer les plaisanteries et de nous promettre de nous revoir encore une fois.

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