Amristar, ses Sikhs, son Temple d’or et sa proche frontière avec le Pakistan.

Olivier Jeannier Découvertes

Amristar, ses Sikhs, son Temple d’or et sa proche frontière avec le PakistanArriver et déjà repartir. Cela arrive plus fréquemment qu’on ne le croit en Inde. Heureusement, pas chez « nos voyageurs » qui découvrent ce pays qui fascine tant, encadrés par nos merveilleuses équipes locales (guides et chauffeurs, collègues agents de voyage…).

Car il faut aimer les hommes pour découvrir l’Inde, accepter la foule, les regards, les contrastes riches/pauvres si exacerbés. On va rarement en Inde pour ses paysages que, pour la plupart, on oublie vite (je n’en dirais pas autant tout de même des couleurs du Ladakh, des canaux parsemés de cocotiers du Kerala, des plantations de thé de Munnar, de Darjeeling ou des contreforts de l’Himalaya…).

Récemment, c’est un véritable séisme dans le petit monde des démographes qui a été annoncé et qui m’a interpellé : la Chine pourrait ne plus être le pays le plus peuplé au monde au détriment de l’Inde, la faute à des statistiques chinoises, parait-il, trafiquées…

On ne peut donc fermer les yeux devant l’immense présence humaine de l’Inde et bien sûr devant les œuvres qui ont marqué cette présence (le magnifique Taj Mahal en est le symbole le plus impressionnant mais aussi le Temple d’or, nous y reviendrons plus loin). Au fil des voyages dans ce pays que j’adore, j’essaie de ne plus me limiter à l’approche visuelle et sensorielle de l’Inde, mais je tente de la comprendre au travers de rencontres et d’échanges. Sans davantage de réussite, il faut bien l’avouer.

Parmi les découvertes programmées depuis un moment dans mon imaginaire indien se trouve, dans la multiplicité ethnique du pays, le peuple sikh qui lui aussi me fascine et m’interpelle et pas seulement en tant que photographe amateur.

C’est entre autre pour cela qu’un matin du mois de janvier plutôt frisquet, je décide de prendre le train depuis Delhi à destination de l’Etat du Pendjab, dans le nord du pays, à Amritsar plus précisément. Le trajet d’environ 6 h (avec un départ matinal) se déroule dans le brouillard. Je choisis donc la somnolence au détriment de la contemplation des paysages. Je peux me consoler au réveil en observant les indiens présents en nombre dans le train et en me promenant dans les divers wagons : c’est un spectacle permanent qui défile devant mes yeux : selfies, grignotages en tout genre, tenues vestimentaires, langues différentes… A un moment donné, avant un arrêt en gare, je suis réveillé en sursaut par un voisin qui, surpris par le poids de sa valise positionnée dans le compartiment situé au-dessus de mon siège, me cogne fort sur la tempe. Un réveil bien brutal !

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Arrivée en gare d’Amritsar, on se sent déjà en immersion chez les Sikhs. Même si 1,9 % de la population indienne seulement est de confession sikhe, cela représente tout de même environ 19 millions de personnes qui pour 80 % d’entre eux vivent dans l’Etat du Pendjab. De plus, ceux qui n’y vivent pas aiment venir en pèlerinage au Temple d’or (pourtant, le pèlerinage vers des lieux saints ne trouve pas sa place dans le Sikhisme. Pour un Sikh, la Parole est le seul lieu saint avec l’eau sacrée des rivières, la méditation et une vie de vérité).

Je décide de ne pas me rendre tout de suite à mon hôtel, en effet, en restant à la gare, j’ai une belle opportunité d’observer les tenues colorées, et les « gueules » barbues qui défilent devant moi : il n’y a pas à dire, ils sont photogéniques. Avant le premier clic, j’aime bien avoir un petit échange. Les premiers sikhs que j’approche ne parlent pas anglais mais soudain un groupe anglophone est tout content que je m’intéresse à eux. Cela tombe bien, ils sont affables et j’ai plein de questions. On dit souvent qu’un sikh sans cheveux longs et sans turban est comme un roi sans couronne ? J’apprends que les jeunes sont de plus en plus nombreux à rejeter les symboles les plus visibles de l’identité sikhe que sont : les cinq ‘k’ – kesh (cheveux et poils), kada (bracelet porté au poignet droit), kirpan (petit poignard), kangha (peigne en bois porté sous le turban) et kachh (caleçon long) – dont Gobind Singh (le dernier des dix gourous qui ont codifié le sikhisme à la fin du XVIIe siècle) a imposé le port à tous les hommes (j’ai envie de dire, heureusement pas aux dames). On me dit : « le kesh est le plus important et fait partie intégrante de l’identité communautaire. Sans le kesh, les autres symboles perdent leur signification. La raison du rejet des symboles la plus souvent citée est le soulagement de ne plus avoir à entretenir sa barbe et à nouer son ruban, deux opérations très compliquées parait-il. D’autres sikhs présents à la gare et vivant aux USA, me disent qu’à l’étranger, depuis les attentats du 11 septembre 2001, il n’est pas rare que des sikhs soient pris pour des musulmans et agressés à cause de leur barbe et de leur turban, ils ont donc tendance à modifier leur apparence pour « ressembler aux autres ». Les informations sont encore plus complètes quand j’apprends que depuis quelque temps, une association organise un concours intitulé « Mister Singh International », qui est réservé aux sikhs enturbannés. Les candidats doivent participer entre autre à une épreuve intitulée « mon turban, ma fierté, mon identité », où ils sont jugés sur leur façon de nouer le tissu sur leur tête. On dirait par ce fait que nous sommes désormais loin du clan originel guerrier (le petit poignard) des sikhs qui est devenu un groupe religieux il y a plus de trois siècles.

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Voici une arrivée en pays sikh qui me plait. Et je ne suis pas au bout de bonnes surprises. En effet, une visite de « Wagah Border » est prévue au programme. On y livre, à un « check point » entre le Pakistan et l’Inde, une étonnante cérémonie folklorique désormais accessible aux curieux, aux touristes et voyageurs, mais aussi aux patriotes indiens et écoliers. Ce rituel nationaliste à la frontière indo-pakistanaise a lieu chaque soir. Les deux forces de sécurité, indienne et pakistanaise, ferment la frontière en sonnant la retraite et en descendant les deux drapeaux. Depuis l’an 2000, le département du Tourisme du Punjab indien, puis les autorités pakistanaises, ont décidé de promouvoir cette cérémonie comme une destination touristique nationale. Des gradins ont été construits et la frontière est devenue le lieu d’une immense communion nationaliste.

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Tout de suite, je remarque que les gradins sont quasiment vides de l’autre côté de la frontière et que les femmes y occupent un côté de l’arène et les hommes un autre. Au Pakistan, on pratique une religion officielle qui ne permet sans doute pas d’assister au spectacle en se mélangeant. Et on peut parler de spectacle car le long prologue avant la cérémonie militaire se transforme en théâtre où la foule y joue un rôle actif. La description de ce rituel collectif organisé (musique, chants, danses, courses de drapeaux) dans un espace aussi spécifique n’est pas vraiment possible, tant il faut le ressentir, l’entendre et le voir sur place. Il y a même un chauffeur d’ambiance digne des meilleures animateurs qui sous les acclamations d’une foule en liesse se joue à merveille de son micro et de sa sono.

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En tant que sportif, la parade militaire m’impressionne, avec ses gestes brutaux d’une grande souplesse et intimidants (menée par des soldats qui à mon avis en plus d’avoir de grandes qualités physiques ont de grands talents de comédiens), dont les fameux grands mouvements de jambes ressemblant à de terribles coups de pieds : c’est bien plus que du théâtre, c’est un show. La cérémonie se termine vers 19h30 par la descente simultanée des deux drapeaux, dans une forme de concurrence où chaque nation doit rester toujours au même niveau que l’autre, comme un signe de pacification symbolique. On a bien compris, à cette heure-là, que les autorités du tourisme penjâbi veulent nous faire dormir dans la région… cela tombe bien, demain, je passerai la journée au fameux Temple d’or. Aujourd’hui, j’ai fait partie des deux millions de touristes qui viennent sur ce petit bout de frontière (elle en fait 2912 km au total), assister à cette cérémonie mais je ne le regrette pas du tout.

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Je me rends compte que pendant le show, j’étais trop captivé pour échanger avec mes voisins, d’autant plus que souvent, les étrangers sont rangés dans un genre de coin VIP et j’avais plutôt envie , on va dire, d’échanger avec les locaux qu’avec d’autres touristes. Sur le long chemin de retour qui me mène au taxi, j’ai l’occasion d’interroger un local sur ce qu’il vient de vivre : « it’s a blast » me répond-il… Blast voulant dire littéralement explosion. Ouf ici, dans cette ambiance finalement pacifiste on a sans doute voulu me dire que le moment explosait de sensations, comme un peu tout en Inde finalement…

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Désormais, les professionnels du tourisme comparent le Taj Mahal d’Agra et le Fort Rouge de New Delhi, les deux monuments nationaux, les plus visités d’Inde, avec la principale attraction d’Amritsar, le Temple d’Or, chef d’œuvre d’architecture. Cependant, le lieu de culte des Sikhs, toujours actif, fréquenté par des dizaines de milliers de pèlerins, est plutôt un monument vivant, alors que le tombeau moghol n’est que le fabuleux vestige d’une époque révolue. J’ai hâte de le découvrir. Je n’attends donc pas le lendemain pour y faire ma première visite. Et ce n’est pas tant la merveille architecturale qui me marque que la ferveur des sikhs dans leur abnégation à accueillir, nourrir, prier, et même pour de rares courageux se baigner dans l’eau glaciale du lac entourant le monument …

La dévotion des sikhs aux visiteurs de toutes religions est remarquable. Ainsi, il est bien connu que si vous vous trouvez dans n’importe quelle ville au monde où se trouve un Temple sikh, on vous offre généralement le gîte et le couvert, témoignage d’une véritable tradition d’accueil et de générosité. J’ai voulu donc tester ce fameux fonctionnement dans le plus somptueux d’entre eux. L’organisation est imparable, entre ceux qui épluchent des milliers de légumes, ceux qui cuisinent, qui servent et qui lavent, ce sont des centaines de mains de bénévoles qui s’activent dans la bonne humeur. J’avoue, j’ai déjà mieux mangé mais là n’était pas mon but, de plus tout est offert, alors… Aussi, le fait de manger en tailleur en position yogi aligné et collé à son voisin fut un peu inconfortable pour moi l’occidental peu habitué à ces contorsions. Au sortir du repas végétarien, j’interroge un sikh servi non loin de moi. Il se délecte de me raconter qu’il y a quelques années, c’est lui-même qui avait passé l’ensemble de ses congés à servir les autres car me dit-il : « dans la religion sikh, l’idéal moral est très élevé. Nous devons respecter les principes de dévotion, loyauté et droiture, humilité et obéissance, générosité et hospitalité, pardon, renoncement à soi-même, humilité et fraternité ». Il me précise que sa religion a été créée afin de rassembler le meilleur des religions hindoue et islamique. Les règles de base sont identiques à l’hindouisme, mais sans le système de castes (ce que j’apprécie tant je ne cesse d’être interpellé par ce système de rang). Le Sikhisme est basé sur la théorie du karma et de la réincarnation ; on évite les réincarnations en renonçant aux vices (alcool, tabac, jeux de hasard…), en surmontant son propre égoïsme, en menant une vie intègre et honnête, car le but suprême de l’existence est la libération.

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C’est bien mais je me dis que j’ai du pain sur la planche devant tant de vertus… Il est temps de rentrer à mon hôtel (je n’aurai donc pas la chance de tester les dortoirs du temple), admiratif et ébahi par les scintillements dorés du temple et par les prières qui s’y déroulent. Les bénévoles avaient même pris soin de disposer de nombreux tapis de sol sur le marbre glacial au contact de nos pieds nus (il est obligatoire de se déchausser pour entrer dans l’enceinte du temple).

Retour à Delhi, en avion cette fois-ci. Si j’ai commencé cet article en mentionnant que certains voyageurs n’avaient qu’une hâte, dès leur arrivée en Inde, celle de repartir, j’ai pour ma part une forte envie d’y rester, de découvrir et d’échanger davantage avec les habitants de ce pays incroyable, déroutant et fascinant.

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